mercredi 31 juillet 2013


Il n'y a pas de carte d'embarquement pour La Sprezzatura. 
Pas de vaccin à effectuer, de commandant de bord, d'engin à vérifier. Ce n'est pas un village, ce n'est pas une région, ce n'est pas un secret bien gardé. Il n'y a pas de maisons, il n'y a pas d'invités, il n'y a pas de tables à dresser. C'est grand comme... un geste, une couleur, une intuition. La température y est aimable. Le fond de l'air décoré. La végétation fait des centaines de pages.
Et j'y vais tout de suite.

mardi 30 juillet 2013


"Tu sais, le clignotant gauche ne marche pas. 
Alors, fais attention. 
Moi, j'ai un système, je m'arrange pour ne jamais tourner à gauche."

C'est une des premières phrases qui ouvre le babil vertigineux du film de Jean Eustache, La Maman et la Putain. Elle est prononcée par une femme dont c'est l'unique apparition, à l'attention d'Alexandre. Arte diffusa hier soir cette œuvre en hommage à la magnétique Bernadette Lafont. Cet assaut inaugural, porté par trois heures trente de dialogues aux muscles élancés, je voudrais le voir rejoindre ma pierre tombale. Graver dans le marbre ce conseil absolument indéfendable. Tenir le cap de ce contournement d'obstacle, quelle prouesse ! Quelle majesté ! 

lundi 29 juillet 2013


Amour canin 

Cette réalité mesquine
qui fait des possesseurs de chiens
des ramasseurs d'étrons urbains
souvent me fascine.

N'ayant ni caniche ni dalmatien,
j'ai enfin trouvé le moyen,
de régner en maître sur mon quotidien.

En allant balader le soir et le matin
un peu de mon urine
au nez de ma voisine
dans de jolis ramequins.

samedi 27 juillet 2013


De quoi l'île est-elle le nom ? 

C'est une île où les prénoms des enfants brillent comme d'étranges trophées. Armance, Azilice, Corentine, Garance, Félicie, Victoire. 
Une île où les bégonias ont l'air d'avoir été shampouinés. 
Où le poisson pêché s'offre en costume d'intérieur sur son lit de glace. 
La famille y est le mètre étalon. 
Même prononcer le nom de cette île, c'est mettre Dieu dans sa bouche. Ile d'Yeu. Homonymie toute-puissante. On pourrait, pourquoi pas, célébrer la messe sur ses plages. D'élégants et fins galets, trouvés ça et là, feraient de belles hosties. 
Mais les plages. Plage de la raie profonde, plage de la pipe, plage des ovaires. On rit à table en se passant les plats. Les ados inventent la plage des gonades, souvenir de SVT, quand une plage de la baise suffit bien aux plus grands, rythmée par un autre déhanchement que celui des marées.
Les côtes deviennent ce petit îlot de résistance au cœur de l'harmonie généralisée. 
La nuit, sur le quai, face aux quelques bars où l'ivresse est tenue en laisse, un homme qui n'est plus tout jeune fait les cent pas, sac sur le dos, livre à la main. De loin, un égaré de randonnée. On le dit podophile. On dirait surtout qu'il veut s'enfuir de là. 
L'année suivante, on signalera l'ėclosion de nouveaux prénoms. Et les générations perpétueront le ravissement.

lundi 22 juillet 2013


Métro Saint Mandé

Lorsqu'on regarde vers la station essence, à l'angle d'une rue, un peu en retrait mais bien visible depuis les pompes, un homme fait du golf. Je le vois. La pose est parfaite. Il prépare un swing. Les jambes sont bien positionnées, la tête penchée comme il faut, le mouvement des bras, que je qualifierais de souple et tendu (à la manière d'un prof dont le polo bleu pâle suinterait l'ennui), enfin l'attente avant le geste qui va imprimer la balle. 
Non, il n'urine pas. 
L'homme est sur le bord de trottoir. Devant un Speedy, spécialiste de l'entretien est des réparations auto. La rue est vide. Face à lui, de l'autre côté de la langue de bitume, s'alignent d'autres vitrines du petit commerce, que ce sport indiffère. Je ne sais même plus s'il tient une canne, un bout de bois, une barre de métal ou rien du tout. Le geste suffit à sentir le toucher du club, à voir l'ampleur du green, à imaginer le trou. Non loin, j'espère que les profondeurs du bois de Vincennes regorgent des balles imaginaires qu'il lance avec une conviction qui n'appartient qu'à lui.

dimanche 21 juillet 2013


Les lobes sont aux abois. 
Le frontal est victime d'un choc sudatoire, réclamant des orgies de glaçons dans des boissons de moins en moins désaltérantes, de plus en plus alcoolisées. 
L'occipital est à l'agonie, pauvre petit, cherchant le moindre recoin d'ombre, déjà propriété d'un plus malin que lui. 
Le pariétal n'est plus maître de lui ; devenu la chose d'un transat, le sujet de la reine bayadère.
Le temporal ne répond plus de rien. On a perdu sa trace. Il hanterait les rayons fraîcheur d'agglomérations désertées. 

Et les doigts gonflent. Dès lors, bizarrement palmés, ils appellent un devenir marin. 
Et l'écriture se tarit, un peu, privée de la liberté de mouvement que seules les phalanges entre elles autorisent. 

vendredi 12 juillet 2013


Et rêver aujourd'hui d'une typo aux pointes acérées, tranchante comme une lame, alphabet contondant. Un U nunchaku, un T marteau, un M poing américain, un J sabre, un I baïonnnette. Et zut, ce P de deux tonnes vient de m'échapper, emportant dans sa course un bout de votre tête. Des phrases qui cognent dur. Le E planté comme une fourchette dans votre cuisse et vous avez beau hurler, commencer une danse folle, électrique, pas moyen de l'enlever car l'accent aigu est comme le dard fouillant déjà votre chair. Vous criez ? Pourtant, rien ne sort de votre gosier. C'est que le Y vous serre copieusement le kiki, étouffant les sons et tout le reste aussi. Et viendra l'autopsie, après ce meurtre de voyelles, de consonnes. À l'intérieur de vous, on trouvera le G. Qui s'en serait douté ? Le O s'épanouira alors sur la bouche du médecin légiste comme un rond de fumée. 


jeudi 11 juillet 2013

Comme si la lumière estivale rendait toute chose plus présente. Comme si le son circulait mieux dans l'air. Comme si la vision était d'un coup lavée, débarrassée des impuretés.

Dans la rue, deux femmes discutent. L'une d'elles a cette phrase : 
"- Elle pense en séquences. 
(pause) On va l'orienter vers l'image, je crois."

Dans la rue, un homme marche. Il porte un tee-shirt très jaune avec l'inscription Bougez plus. Peut-être le souvenir d'un événement sportif ; cadeau fait aux participants, aimablement offert sur les deniers d'un conseil régional. Sous le maillot, un bras s'est réfugié. Il doit porter une attelle, car une masse informe se devine qui n'a rien à voir avec le volume d'un ventre. Il a l'air parfaitement encombré, contraint et diminué. Contradiction ambulante. Humanité.  

mercredi 10 juillet 2013


Chaleur et chalands

Alors que les corps sont de plus en plus visibles à mesure que la chaleur patine la ville, je me demande si nous franchirons un jour le Rubicon, pour ne garder soudain que le vêtement de peau. Comme dans une rue piétonne où la marche est seule patronne, réserver à la nudité son royaume dans la cité. Une avenue me paraît tout à fait appropriée pour cela : celle, si étrangement égarée dans le 7e arrondissement, proche du Champ de Mars, qui porte le nom d'Elisée Reclus (1830-1905). Géographe, anarchiste, activiste politique, rétif au mariage religieux, légumiste, il encouragea en outre le développement du naturisme comme moyen de socialisation entre les individus (bien mieux que la Fête des voisins). Me voilà à peaufiner et biafiner un programme de choix pour l'élection municipale de 2014. 

mardi 9 juillet 2013


Cette dédicace, ouvrant Anima, roman de Wajdi Mouawad (éditions Leméac / Actes Sud, 2012), me renverse : 

à toutes les lettres de l'alphabet 
avec une pensée particulière pour 
A.B.C.E.K
doublement P. doublement R.
et S.

La splendeur d'une évidence. Elles méritent tant d'être saluées. Elles ne feront jamais défaut. 

dimanche 7 juillet 2013

Ils ne s'en rendaient pas compte, mais au matin, chaque matin, ils embrassaient le vide, le bord. Pourtant, ils avaient commencé la soirée dans la plus grande complicité contemporaine, aux hasards de la ville, de son garde-manger et de sa cave à ciel ouvert. Venait le sommeil, le coucher, où ils prenaient alors leurs aises, chacun de leur côté. Cet écart entre eux n'était pas tissé d'indifférence. Il s'agissait plutôt d'un espace propice. Comme le lit d'un fleuve, il régénérait tout, charriait des trésors de vie. La nuit travaillait en secret, en silence, à les rapprocher. 

samedi 6 juillet 2013

La langue ultraviolette

Celsius, tout le monde ressent !
Demain, on crame gratis ! 
Citronnier, y a rien à boire !
Chaud, devant ! 
Ça va darder ! 
Dans le cul, la gouttelette !
C'est parti, mon bikini !
Tu l'as dit, cramoisi !
Chauffe, Marcel ! 
Casse-toi, pauv' rayon !

jeudi 4 juillet 2013

4th of july

Un jour pour clamer son indépendance. 
Il suffit pour cela d'une étoile
la bonne. 
Et d'une ligne 
de chance. 

mercredi 3 juillet 2013

Chargement

Un camion à l'arrêt rue St Maur, Paris. Arrière-train béant. Un homme extirpe de cette panse de métal un volume rosé. Il ne s'agit pas d'un quartier de viande, livraison pourtant fréquente par ici, à moins que des précautions nouvelles obligent les professionnels à recouvrir d'une protection plastique chaque pièce, à l'embrocher qui plus est sur une sorte de pied télescopique pour prévenir toute manipulation pénible, et enfin, à coudre de fleurs sa partie postérieure ? Je sais bien que le persil est une décoration qu'il faudrait renouveler, mais quand même, lorsque j'entrevois d'autres spécimens bleutés à l'intérieur, le doute n'est plus permis. Personne ne fait commerce de viande avariée.
J'y vois plus clair. C'est une cargaison de parasols monochromes et fanfreluchés, d'articles spéciaux pour moments d'exception. Logique : la possibilité élargie du consentement mutuel, le vertige des prises d'épousailles font déborder d'idées les commerçants de l'amour. Ça y est, j'imagine la chose ouverte, se déployant dans l'air, et cette couronne de fleurs venir chatouiller le nez des invités, devenir le bouquet pour tous dans un moment de liesse et d'ébriété. J'imagine les services à vaisselle, les buffets, les discours, les fontaines d'alcool rivalisant d'audace pour faire jaillir l'unique dans la globalité. La surenchère a commencé. L'ombre, quand elle est de mariage, a aussi le droit de connaître sa petite révolution.  
Mais à mesure que l'homme sort cette chose volumineuse et très ouvragée du camion, la vérité se déplace, va rejoindre une autre gueule ouverte : l'entrée d'un bâtiment qui abrite les ateliers de la Maison Martin Margiela. C'est donc une robe qui revient du défilé couture dont j'apprends qu'il a eu lieu à 10h ce matin. 
La mode, je te veux pour épouse, je promets de te rester fidèle, dans le bonheur et les épreuves, dans la santé et la maladie, pour t'aimer tous les jours de ma vie désormais végétarienne. Et d'épreuve, nous venons d'en traverser une. 

lundi 1 juillet 2013

Coming août

Oui. Je suis pro-juillettiste. Et le fait d’avoir vu le jour dans ces eaux-là - bien moins propres à l'époque -, n’a rien à voir avec cette prise de position. Quoique. Mais non. Le combat est ailleurs. Entre les blanches mains de l'aoûtien, qui jamais n’abaissera ses pâles phalanges sur le dos éprouvé du premier vacancier, le soulageant ainsi de la morsure de l’astre, en appliquant ce lait après-solaire comme on prodigue une caresse maternelle. On ne partage pas impunément un même objet de convoitise. Ce geste de paix, il ne le fera pas. Le juillettiste souffre. Et qui pourrait encore voir un hasard dans le fait que le signe du cancer a choisi de briller au cœur de cette saison estivale inaugurale ? La tumeur de la peau y bat alors son plein. Le juillettiste est seul et sans secours, trop naïf et si pressé de rompre avec les ciels maussades et bien trop bas. Et qui encore, le retour imminent, pour débarrasser ses épaules de ce squame obtenu sur le champ de bataille sablonneux ? Personne. Car la ville est désormais vide. Même les rideaux de fer baissés ont l'air d'un affront : aucune paroi de verre pour renvoyer l’image tant désirée de ce corps doré. Voici le sort du juillettiste. Comme je le comprends et comme je le plains.