lundi 31 mars 2014


Ma vie politique 

Je me suis réveillée en me scrutant depuis mon lit isoloir. 
Regardant toute la région sud de mon corps avec pas mal de suspicion. Et surtout mes pieds, qui, peut-être allaient me conduire malgré moi vers des portants de chaussettes exclusivement bleu marine. Je me pinçais le bras, mais une sorte de paralysie de toute la zone gauche m'empêchait vraiment de ressentir cette petite algie furtive. Aucune réaction. Atonie localisée. De ma main droite, je claquais alors allègrement ma joue opposée : pas la moindre sensation non plus. 
J'ai répété l'action devant un miroir. Et c'est là que j'ai constaté sur mon front un sillon inconnu. Une ride profonde ? Une forte contrariété ? Un coup reçu pendant la nuit ? Ça n'allait vraiment pas. 

vendredi 28 mars 2014

2.0

Grâce à d'ingénieux capteurs je peux désormais analyser ma vie intestinale, compter le nombre de mes pas, savoir comment mon cœur palpite, connaître l'état de mon sommeil ou la somme de calories avalées. J'attends avec impatience la petite merveille technologique qui me permettra d'évaluer des vérités moins quantifiables. Mon être inavouable enfin traqué, numérisé : savoir combien de fois je n'ai pensé qu'à moi durant la journée serait en soi un précieux renseignement. 

mercredi 26 mars 2014


Pic

Espérer la prochaine pollution urbaine
Rêver d'une partie fine de particules fines
S'imaginer Icare diesel
Fier comme un titre de noblesse

dimanche 23 mars 2014


Trop tôt

J'avais commencé à les ranger dans leur housse d'hiver. Des tournures de phrases spécial grand froid, qui n'avaient, du reste, pas beaucoup servi cette année, des mots doudoune, des syllabes qui, une fois expulsées dans l'air, y formaient habituellement un nuage douillet. J'avais choisi des cintres du meilleur bois pour y suspendre les articles les plus délicats. Je m'apprêtais à retrouver des formules plus légères, aux couleurs plus claires, faites de moins de couches successives et de subordonnées complétives. Il était peut-être encore un peu tôt. 
En parlant, j'ai pris froid. 

jeudi 20 mars 2014

Je sais maintenant ce qui me tracasse. 
C'est cette toise, là, juste au-dessus de moi, cette petite règle grise bien droite qui semble avoir été appliquée au niveau à bulle, et qui édicte sa règle de conduite à laquelle je dois me soumettre absolument. Aujourd'hui elle ordonne : jeudi 20 mars 2014 . Et j'ai presque honte de m'en prendre au printemps, mais comme lui, comme son pollen et son bourgeon, je dois libérer cette chose en moi. Car je commence à sentir cette barre appuyer sur ma chevelure, et, est-ce possible, me tasser un peu aussi en mesurant mon temps. Son résultat est implacable et je sais, comme je connais la couleur de mes yeux et la forme de ma main, que demain elle dira : vendredi 21 mars 2014 . Pourquoi ? Je veux dire, pourquoi cet espace virtuel s'entête-t-il à me servir une sauce identique au réel ? En lieu et place du calendrier grégorien, j'aimerais un mode aléatoire, une entrée inédite que la bête digitale m'apporterait comme un toutou malin. Mais non, comme un chien fidèle, elle se contente de ramener inlassablement ce qu'on lui tend. 
Cette variante ci-dessous est un bien piètre essai. Mais il me dit aussi ce que j'essaie de faire. Transformer chaque jour qui vient en un mot anodin où la fiction aboie. 

  helium  

  chaussette  

  micro-cravate  

  connecticut   

lundi 17 mars 2014


V comme Va au diable

Un certain réseau social professionnel, commençant par la lettre V, est visiblement un monde fascinant, peuplé de profils inouïs dont il faut toujours vanter les mérites. 
Ainsi, le dernier cru :
Une telle, responsable internet, s'est connectée 243 fois le mois dernier sur l'appli V. !
Un professeur parle 20 langues à lui tout seul !
Une ingénieur a plus de 40 compétences !
Une responsable pôle web a posté 2986 articles sur V. !
Un chargé de veille médias a 138 livres dans sa bibliothèque ! 

Et l'idée d'avoir une bibliothèque et 138 ouvrages dedans devient en soi le motif d'une sidération. 

jeudi 13 mars 2014


L'espoir

On murmure, dans les entreprises du secteur numérique, que le moment optimal pour qu'un tweet soit lu est le dimanche à 18h. 
J'ai de mon côté pu établir, après des recherches longues et coûteuses, requérant l'intervention d'experts reconnus et hors de prix, que l'instant  idéal pour se consacrer à la lecture de ce blog est le 29 février, à 14h05, juste avant le café, dans cet état de somnolence lié à la digestion et si propice à l'oubli. Le rapport qui m'a été remis, signé par d'éminents spécialistes dont je rappelle le tarif prohibitif, représente pour moi un espoir conséquent. Je sais qu'un jour ce blog sera parcouru par un lecteur en pleine torpeur roborative, un rot affleurant à ses lèvres encore légèrement grasses.

lundi 10 mars 2014


(sic)

"Ma connaissance à moi, c'est la sous-traitance." 
J'extrais cette phrase de son contexte, comme un pou de la tête. C'est ce qu'il faut faire, je crois. Suffit d'avoir la main preste. Si on la laisse avec les autres ("C'est très beau dans un tableau Excel" ou "Je suis un révolutionnaire dans ma branche") et dans son environnement naturel de cravates et d'affaires, alors elles prolifèrent, elles démangent. Impossible de s'en débarrasser. 
Seule, isolée, capturée, la voilà moins dangereuse. 
La sous-traitance, après tout, me concerne bien autant que l'homme en costume qui se tient là, pas loin de mon oreille. 
Je donne ainsi tous les jours ordre à mes organes de faire le boulot. 
Et après, quoi ? Il faudrait fanfaronner pour ça ? 

samedi 8 mars 2014


La belle

Il jouait seul au ping-pong et souvent à l'heure les repas. Face à la partie de la table relevée, station debout, jambes légèrement écartées, c'était comme s'il se tenait devant un miroir, mais sans les inconvénients. Il décidait librement des temps morts, aimait caresser le double revêtement de sa raquette, un côté picots, l'autre anti-top, pendant qu'il s'arrêtait comme ça, un moment, en pleine partie, il en avait le droit. S'invectivant parfois, se motivant, généralement. Son service était mou, il le voulait ainsi, mais jour après jour, ses effets prenaient de l'ampleur, il maîtrisait vraiment l'art du rebond. La balle était cette boule qu'il avait dans la gorge, cette pensée qui ne le quittait jamais vraiment, cette tête d'os inconnu, doux et saillant qu'il imaginait appartenir à un être inconnu, doux et saillant, cette tumeur grosse comme ça que, peut-être, il couvait comme un œuf, cette chance qui ne portait aucun numéro. Un jour, il s'aperçut que sa progression et sa finesse de jeu n'étaient accompagnées d'aucune admiration adversaire, d'aucun applaudissement ravi. Alors, il débita la table. Découvrant toute la palette d'expression du tranchant de sa raquette. 


jeudi 6 mars 2014

mardi 4 mars 2014


Mardi c'est gras

Masqués de pain burger
Vernis de ketchup
Culottés de pâte à pizza
Bijoutés de rondelles d'oignons frits
Enduits de mayonnaise
Lanceurs de confettis grains de sésame

dimanche 2 mars 2014

Regarder le dimanche

Des hommes à la peine : 
- Assis sur un banc, il essaie d'ouvrir une bouteille de crémant avec ses dents et une certaine délicatesse. 
- Dans un fauteuil roulant, il porte un manteau en astrakan noir qui contraste avec sa barbe adamantine, sa vieillesse a fière allure, ne serait-ce le regard absent et le fait d'être posé là, seul, dans une allée du marché, pas loin du stand ostréicole. Sa patience sera-t-elle récompensée par des huîtres ? 

Des municipales textiles : 
Ils sont plusieurs à distribuer les programmes des candidats d'arrondissement, il y a ceux qui portent des écharpes roses et et ceux qui portent des écharpes bleues, comme des supporters repentis. Elles viennent peut-être du même fabricant. 

Junk food :
Pas loin du camion de beignets et autres crêpes, une semelle a marqué de son empreinte une déjection canine : on dirait une gaufre.