lundi 21 janvier 2013


Ciel verglaçant. Glissade jusque dans la bouche du métro. Belle dentition de carreaux de faïence biseautés. Dedans, les corps sont travaillés par des sucs. Si on prenait soin d'arracher chaque affiche publicitaire collée par une salive industrielle dans la station, on pourrait bien apercevoir une surface identique à celle d'une langue, rose et pourvue de papilles. Mais il faudrait du temps, des ongles spécialement conçus ou des outils à inventer, et qui, pour s'attarder à ça, pour s'attaquer aux strates, à toutes ces couches de campagnes. La mastication commence, les corps ne s'en aperçoivent pas, occupés à disparaître le plus vite possible dans le tunnel œsophage. Il y a le souffle de la réclame. L'haleine événementielle. Un parfum un peu trop sucré qui provient d'un panneau de l'autre côté du quai. Les partenaires indiqués sur le visuel sont, entre autres, une pâte à tartiner à la noisette et une marque de glace américaine. Des nourritures régressives et consolatrices pour "La 1ère nuit de la déprime". Une soirée de chansons tristes, de refrains nostalgiques, d'interprètes ad hoc et de lectures pas drôles. Tenue sombre conseillée est-il écrit. Programmée le 18 février. Le 14 était peut-être déjà pris. Visible aux Folies Bergère. Le théâtre de la Gaîté-Montparnasse était probablement occupé. 
La déprime élevée au rang de divertissement. Elle le mérite bien. La tristesse, le désespoir, la mélancolie pourraient remplir un Zénith, mais la déprime a le plafond plus bas. Une petite déprime, une grosse déprime, une bonne déprime... comme le stress, un produit de consommation courante qui devait bien un jour avoir son spectacle. 
Pensée rabat-joie ? Simple manière de résister aux mâchoires collectives qui déjà, dans le wagon, travaillent à rendre les corps plus digestes, plus soumis. Ou bêtement, banale histoire de goût. À la déprime, préférer la dépression comme une puissance bien plus grande que soi. Une héroïne intacte qui se produit chaque soir, sans sponsor ni cachet. 

1 commentaire:

  1. Quand l'affiche choisit son quai... déplorable coïncidence ou sombre éclair de génie de piètre-marketing ?
    Je reviens de St Antoine le bien nommé où de fragiles courageux vont se chercher quand ils se sont trop perdus de vue.
    Juste en face du porche de l'hôpital, la bouche de Faidherbe-Chaligny.
    Je m'engouffre dans la gueule béante à l'haleine déjà douteuse et la vue de cette affiche agit comme un relent de mauvais goût.

    Merci à toi Carine pour ce billet si bien écrit, à la chute belle et digne, sans appel ni filet.

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