mercredi 30 mai 2012


Je n’ai pas vu Intouchables, mais tout s’éclaire.
Parce qu’on célèbre, non pas un centenaire, pas plus qu’un bicentenaire, mais le cent soixante-sixième anniversaire de Pierre-Karl Fabergé, créateur de l’œuf éponyme. Le moteur de recherche Google le met en scène dans un doodle *, le figaro.fr en profite pour rappeler les heures de la Russie des tsars. Avec cette célébration, je peux dire combien cet objet m’intrigue. Pièce de joaillerie ovoïde, sa version inaugurale de 1885 était d’une belle simplicité : outre la forme, il avait le côté taiseux d’un véritable œuf, indécelable sans briser la coquille. En émail blanc immaculé, il dévoilait un intérieur capitonné d’or, une sphère en or également, et renfermait une petite poule en or, qui s’ouvrait sur une couronne impériale miniature en diamants, à laquelle était suspendu un œuf en rubis (ces deux derniers éléments ont disparu). Par la suite, chaque œuf va devenir toujours un peu plus ouvragé et coloré, s’éloignant de la pureté originelle. Ces œufs qu’on s’offre entre gens caratisés, comme la reconduction d’une lignée, le privilège de la descendance, de la famille, d’une histoire partagée, deviennent à force de consanguinité d’étranges partenaires. Ces œufs qu’on s’échange peut-être lors d’intronisations-intromissions dont on ne saura rien. Ces œufs qui coûtent parfois des millions de dollars. Bibelot matrice, il me divise, comme le jaune et le blanc.
Et voilà que j’apprends qu’Intouchables à les siens. Des œufs de Fabergé qui trônent dans l’appartement milliardaire et dont un exemplaire fera l’objet d’un vol. Je décide que ce sont eux les Intouchables, je décide que le titre leur est dédié. Parler d’un film sans l’avoir vu et identifier à son sujet des vérités relatives, l’idée me plaît.

* dessin, gribouillage (et comme avec un œuf parfois, je fais jaune double, car j’apprends que doodle et google sont des paronymes, et qu’une paronomase est une figure qui consiste à les rapprocher : "le doodle de google »)

lundi 28 mai 2012




Jour de marché, un chien dans la layette. Comme si un pantalon de pyjama en coton gratté allait soudain s’ébrouer. La belle indifférence au commerce du possesseur du stand, qui laisse la bête s’alanguir sur son gagne-pain. Et peut-être sur des étalages voisins, entrevoir un sexe masculin au milieu d’aubergines, une prothèse mammaire dans un casier de petits chèvre frais, une belle plante parmi les rosiers, un coquillage marin sous deux litres de bouchot. Associations camouflage, conquêtes de territoire, et surtout, ô surtout, surprises du quotidien. 

samedi 26 mai 2012


Poem to pee (gold !)

Paris est en eau
L’air et le vent mêlent leur urine
Le houblon coule à flots.
Bien innocent celui
Qui propulsera le jet
Se pensant à l’abri
Contre le parapet.
Ses pieds nus
Recevront l’offrande
Qui rebondira têtue
Comme le rayon sur la tôle.


(librement inspiré par ce mur végétalisé situé Passage des petites écuries dans le 10e arrondissement, et dont l'aspect crénelé au niveau inférieur est effectivement destiné à prévenir les pisseurs intempestifs. Un ouvrage réalisé en 2007, sous la Direction d'Etienne Van der Pooten, Architecte voyer en chef de la Ville de Paris, chargé des espaces verts et de l'environnement, dont la mission est de mener à bien des opérations de végétalisation de l'espace public).   

mardi 22 mai 2012


Aujourd’hui, les phrases pèsent sur l’estomac. Hier, une syllabe ne devait pas être fraîche. On ne parvient qu’à réchauffer des phrases crêpes, plates et boursouflées à la fois. Ou sa variante, des phrases calzone, boursouflées et plates à la fois. Sinon, il y a toujours les phrases omelettes, celles qui dépannent, mais avec beaucoup trop d’« Euh » dedans. La langue barbouillée, on a sauté le repas.

lundi 21 mai 2012


Cannes oblige, parlons un peu cinéma.
Robert Bresson évoquait à propos du septième art « La force éjaculatrice de l’œil »1. C’est peut-être pour cela qu’un réseau de salles parisien2 a cru bon de remettre au goût du jour une manière de préliminaires, prenant la forme d’un court-métrage avant la projection d’un long. Depuis mars dernier et pendant un an, un film parmi une vingtaine de courts sélectionnés, sera donc diffusé en début de séance3. Doit-on s’en réjouir ? Comme les premières parties dans les concerts, c’est un moment souvent cruel. Ce week-end, j’en ai fait l’amère expérience. Parfois de même durée qu’une bande annonce ou qu’une publicité, l’embarras est heureusement rapide, et l’éjaculation précoce. Empêcher de voir ou obliger à voir… ? Le court métrage est une épine dans l'œil du spectateur. Permettre la diffusion de ces formats, dont on dit qu’ils révèlent les talents, est difficilement opposable, et pourtant mince, c’est comme devoir forcément manger avant de commander son plat, ou nécessairement lire avant de commencer son roman. Nous voilà assis entre deux fauteuils, comme un grain de pop corn coincé dans un strapontin.
Enfin, tout ceci n’a pas grande importance, si l’on se réfère aux travaux de l’universitaire Claude Forest4. Il a écumé 108 séances entre avril et août 2010 dans 3 cinémas différents, étudiant la manière dont les spectateurs munis de billet prennent place dans une salle, et en a tiré le constat suivant et confondant : les gens ne vont pas au cinéma pour regarder un film, mais pour cette part de rassemblement grégaire et de rituel social que le grand écran induit. Dans la somme des arbitrages qui mènent à la décision « aller au cinéma », le film n’est pas la priorité. Voilà qui réconciliera tout le monde.
Ne nous reste plus alors qu’un seul regret : aucun film de Robert Bresson n’est cité dans le top 5 des candidats à la présidentielle 2012 (un peu de nostalgie nous fait revenir à la campagne). Jacques Cheminade a les goûts les plus excitants, citant L’invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel et La grotte des rêves perdus de Werner Herzog. Quand notre Président cite en tête Sous le sable de François Ozon.

1 Notes sur le cinématographe, p.24, éd. Folio
2 le premier MK2 hors Paris sera situé à Marseille d’ici 2013 (nous voilà à remplir une mission d’information !)
3 Vous pouvez savoir à quoi vous attendre ici
4 cf entretien dans Libération Next Mai 2012, p.99-100

samedi 19 mai 2012


Mais qu'est donc cette chose soupesée par un homme en cravate, puis posée devant un homme en chemise ? Profitons d'elle pour user et abuser d'une expression qui lui va comme un gant et semble avoir été créée pour elle : ces deux hommes discutent (ou taillent, c'est selon) le bout de gras*. Cette chose en est : condensé, compressé, consolidé, gélifié, voilà du gras à l'état pur, une bonne grosse pépite de gras corporel. Trophée lipoïde à caractère dissuasif, il a été vu sur le plateau de The Colbert Report pour évoquer le documentaire en quatre parties diffusé en début de semaine sur la chaîne HBO, The Weight of the Nation, et qui dépeint une Amérique malade de surpoids, voire d'obésité morbide.
Cette chose est trop calorique visuellement. Ses contours approximatifs, son côté artisanal, ses manières boursouflées, ses morceaux orangés sont pourtant l'œuvre de l'homme. Si l'imagination avait aussi son barème de recommandations en termes d'apports journaliers, il est certain que cette chose exploserait tous les seuils. 


* dans les campagnes, au moment de tuer le cochon, nombreux étaient ceux qui venaient donner un coup de main. Il y avait beaucoup de gras à tailler, et cela prenait du temps. Les discussions pouvaient durer en travaillant la bête, c'était une occasion d'échange et de parole. Le cochon est un peu l'ancêtre des réseaux sociaux. 

jeudi 17 mai 2012


Le 4 mai dernier, nous nous réjouissions de voir l’avenir promis au Cri. Un homme moitié debout moitié qui penche avait anticipé le moment de gloire de ce tableau mythique depuis le 4 avril. Rendons lui hommage, car il nous donne encore un peu plus d’espoir en déclarant : « Pousser un cri était la seule solution ». C’est écrit noir sur jaune, sur un Post-it, et un dessin vient soutenir cette affirmation : un personnage à tête d’ananas prend la pose hurlante à la manière de Munch. À noter : après le cri vient l’amour, dans ce conte autoadhésif et amovible. Le Cri est un motif récurrent dans l’exposition carte blanche de Philippe Katerine, qu’on peut voir jusqu’au 7 juillet à la galerie des galeries (Lafayette). Il apparait d'abord dans un diptyque ; occulté en partie par le corps de Dominique de Villepin téléphonant dans un premier dessin sur papier noir et blanc, il est ensuite débarrassé du politique et visible dans son entier. Le Cri encore, et en couleurs, au cœur d’une installation fontaine d’où jaillissent figures chimériques et fantaisies visuelles bercées par le glouglou. 
On est de plus en plus content. Vive le Cri. 

mercredi 16 mai 2012

Comme pour les éclipses ou les films en 3D, la passation de pouvoirs sur le perron élyséen pourrait se contempler avec des lunettes aux filtres spéciaux.

Avant :

(ciel bleu ump, façade dorée, parterre d'inspiration italienne)


Après :

(ciel d'orage, façade "emmerdes", rose ps, rouge 
paris match, blanc première dame)

mardi 15 mai 2012

Désormais, chaque fois que je vais acheter du pain, je tombe sur cette phrase faite au pochoir sur le bitume :

Puis sur celle-ci, cinquante mètres plus loin :

C’est tout frais (l’inscription, le pain j’en doute), et si je pousse jusqu’au magasin d’audio-vidéo-électro-téléphonie-informatique ou jusqu'au kiosque à journaux, en voilà une nouvelle :



Même mode opératoire, probablement même auteur, même si aucune signature ne vient corroborer mon expertise de comptoir au ras du trottoir.
Au quotidien, ce sont trois cent mètres de triathlon mental, où je me bas avec les démons de ma volonté : je dois pouvoir me passer de baguette formatée, de journaux qui mentent et d’appareils ménagers à l’obsolescence programmée. Et mon ego, ce salaud, eh bien, il ressemble à ce petit pochoir en forme de cafard violet qui semble sortir d'une bouche d’égout couleur turquoise et qui m’attend sur le chemin du retour. Je me grouille de rentrer. 

lundi 14 mai 2012



Cette mince bande de papier buvard graduée placée au coin externe de la paupière inférieure permet de détecter un éventuel problème de sécheresse de l’œil, qui pourrait à terme endommager la cornée. Il suffit de mesurer la longueur du papier humidifié en 2 minutes pour diagnostiquer l'état de votre hydratation oculaire.
Détournons ce test de Schirmer dans un but émotionnel, afin de donner un peu de rigueur scientifique à toute production lacrymale. Comme un spray mentholé ou une clé USB, il pourrait être toujours à portée de main. Le larmomètre ou la manière de se sentir moins seul(e) face à cette manifestation, dont on sait si peu de choses, si ce n’est : le pH des larmes est autour de 7,4. Elles contiennent du chlorure de sodium, des ions, des enzymes, des lipides, des protéines, des hormones comme la prolactine, des antalgiques naturels.
Allez, donnez votre languette à la larme :
Supérieur à 30 : votre dictateur est mort / vous commencez une analyse / le chanteur pop dont vous êtes fan va se produire dans le complexe sportif de votre région / vous étiez de ceux qui ont assisté, participé et qui sont revenus à la performance de Marina Abramovic au Moma à New York en 2010, The Artist is present ; vous étiez assis face à elle, une table carrée vous séparant, pour un temps indéterminé, en silence.
Entre 30 et 25 : vous êtes un(e) inconditionnel(le) des films de Pedro Almodovar / vous avez l’alcool triste / votre analyse piétine.
Entre 25 et 20 : vous devez peut-être penser à une reconversion amoureuse, au lieu d’enfouir trop souvent votre tête chiffonnée dans un oreiller chiffonné / un changement professionnel s’imposerait-il, au lieu de vous isoler trop régulièrement dans les toilettes de votre lieu de travail, où les feuilles de papier du dérouleur mettent votre contour de l’œil au supplice.
Entre 20 et 15 : vous nagez dans le bonheur, et qu’elle est délicieuse et inventive la langue de votre conjoint(e) léchant avec application vos larmes de joie.
Entre 15 et 10 : vous employez beaucoup de constructions grammaticales en utilisant la forme du passé / des scènes de film pourtant anodines, comme l’ouverture d’un réfrigérateur ou le démarrage d’une voiture, vous remuent / Vous êtes tout simplement un(e) citoyen(ne) lambda fatigué(e) ou une célébrité en plein jet lag et démonstrative lors d’une récompense de la profession.
Entre 10 et 5 : vous êtes une femme de plus de 40 ans et vous pleurez (en vain et avec difficulté) la dégradation, entre autres, de votre système lacrymal. C’est qu’avec le temps, la pompe dysfonctionne.
Inférieur à 5 : vous subissez un problème de technologie persistant / hygiène des mains à revoir chez les porteurs de lentilles de contact / sans discrimination de sexe aucune, vous êtes tout bêtement un homme et non une femme.
0 : votre président est tout neuf et bien vivant / il est temps de commencer une analyse. 

vendredi 11 mai 2012


Un drôle de truc. Au bord de la torpeur, la rétine en feu, alterner entre la vision en temps réel de la file d’attente pour pénétrer dans la Bibliothèque d’Information Publique de Beaubourg, et celle du studio de l’artiste Damien Hirst, où hier, un assistant portant un masque contre de toxiques inhalations usinait à la postérité. Aujourd’hui, il est tête mi-nue, coiffée d’un casque audio et a changé de pull. Il est toujours aussi seul et courbé à la tâche.
La webcam de la BIP consiste en un arrêt sur image réactualisée toutes les dix minutes, et n’a pour seul objectif, est-il indiqué, que de donner un aperçu de l’entrée plus ou moins fluide. Elle ne saurait être associée à un dispositif de vidéosurveillance. Les visages sont floutés, les données ne sont pas conservées. C’est le Bison futé du savoir. 
Celle de Damien Hirst a un but moins immédiatement identifiable. Montrer l’œuvre en train de se faire, façon backstage ? Désacraliser encore un peu plus le geste créatif et jouer la transparence avec cet acte fondateur d’une nouvelle communication hirstienne (car le site est flambant neuf), qui tente le tout pour le tout en affichant que oui, eh bien, non, il n’est ni à l’ouvrage ni à l’image, et tant pis pour ceux qui croient encore que l’art appartient au faiseur reclus dans son atelier ! D’autres questions se bousculent au fur et à mesure de l’absence d’événement. Les assistants ont-ils signé une décharge les soulageant de leur droit à l’image ? Pourquoi n’y a-t-il  pas de son direct (alors qu’on entend hors champ de la musique, des voix, le bruit d’actions de ponçage, de vissage, etc). Ont-ils une liste d’interdits comportementaux ? Sont-ils payés pour être filmés ? Mais peut-être s’agit-il de figurants ? Dans ce cas, est-ce vraiment son studio ou une reconstitution quelque part, en Europe de l’Est ?
Et pendant ce temps, la webcam du bassin des phoques du musée de la mer de Biarritz est inactive à l’heure rituelle du repas des animaux marins. Et ça, c’est une vraie déception.

N.B. Voilà deux fois qu'est mentionné damien hirst dans ces pages. Promis, c'est fortuit. 

mercredi 9 mai 2012


Il n’était pas friand des séances de signature où se pressaient probablement des mères de famille intarissables sur la puissance transgressive de ses livres pour enfants. Un public acquis qui ne signifierait rien (ou si peu, une ruse du marché ?) et qui l’indifférait surtout, car il était homosexuel.
Il se demandait encore par quel miracle il n’avait jamais détruit personne, n’étant pas friand pour tout dire du genre humain, surtout taille adulte. Mais il ne désespérait pas un jour de tuer quelqu’un, si la vie lui en laissait le temps. Il disait cela avec une classe singulière et une sérénité totale. En rien, il ne ressemblait à un vieux con.
Il préférait de loin son chien, héros posthume d’une de ses histoires, Higglety Pigglety Pop! or there must be more to life (1967), qui, dans sa bibliothèque, avait la place du cœur.
Il n’aimait pas particulièrement la littérature pour enfants, d’ailleurs il ne revendiquait pas ce territoire. Il ne savait pas quel talent particulier il fallait pour se spécialiser dans le genre : peut-être commencer par être idiot.
Il n’était pas une pute, disait-il à ceux qui lui conseillaient de faire une suite à son album le plus connu Where the wild things are (1963), Max et les Maximonstres en français. À ce propos, personne ne sait vraiment qui est à l’origine de cette traduction tellement frustrante et si appauvrissante ; le traducteur n’étant pas mentionné lors de la première édition française, parue en 1967 chez Robert Delpire*. Un Where the wild things are 2 ? Qu’ils aillent se faire foutre !
Il avait eu cette belle phrase « A book is a book is a book », à propos de l’E-book et de la fin annoncée de l'impression papier. Il n’était vraiment pas un vieux con.
Il avait illustré un livre dont il n’était pas l’auteur (il s’agit de Janice May Udry) mais dont le titre était tellement prometteur : Let’s be Enemies (1965).
Il avait une passion pour William Blake, peintre, poète, illustrateur anglais. Il ne comprenait pas toujours son propos mais il aimait son approche entière et enflammée. Il se souhaitait la même mort « miam miam ». Sachant sa fin imminente, William Blake s’était alors mis à chanter.
Enfin, le Romantisme allemand, qu’il admirait tant, lui avait inspiré Outside over there (1981), son livre fétiche, où des forces mystérieuses kidnappaient un bébé.
Il s’appelait Maurice Sendak**.

Image de In the Night Kitchen (1970). 
Une phrase ultime, depuis "là-haut" ? 

Image de Outside over there.
J'adore les pieds de la jeune fille, 
sa manière de jouer du cor de chasse, 
le portrait à droite dont j'aimerais qu'il soit celui de William Blake, 
et les deux visages évidés.


* L’accueil de Where the wild things are dans la France des années 60 est remarquablement décrite ici
** Citations, vidéos et interviews relatives à Maurice Sendak ici 

mardi 8 mai 2012

samedi 5 mai 2012


Les expressions sondagières du moment, « sur le fil du rasoir » et « dans un mouchoir de poche », nous ont inspiré une alternative au jeu Pierre-feuille-ciseaux. Rasoir-mouchoir-urne est une manière appropriée de passer le temps ce week-end, entre amis. Une distraction qui peut tourner au pugilat si les intentions des votants divergent. Le rasoir peut couper une gorge, l’urne servir de projectile, le mouchoir étouffer une bouche ; dans tous les cas, il séchera des larmes. Pour éviter tout débordement symbolique, voici la gestuelle en trois coups et les règles à suivre :
Rasoir : le pouce et l’index forment un L (comme une lame coupe-chou)
Mouchoir : la main est à plat, paume vers la terre
Urne : les doigts tous rassemblés se touchent en leurs extrémités, un creux se forme au niveau de la paume
Combinaisons : Le mouchoir de poche recouvre la fente de l’urne, le fil du rasoir coupe le mouchoir, le rasoir tombe dans l’urne.
Des petits malins trouveront toujours à polémiquer quand leur choix les fait perdre : et si la main à plat se présente sur le tranchant, c’est un mouchoir non déplié, qui peut tomber dans l’urne ? Et si le pouce est collé à l’index tendu, le rasoir est lame repliée, et ne peut plus rien couper ? Et si le pouce glisse contre les autres doigts, l’urne est close, et rien ne tombera dedans ? Soyez ferme sur vos positions, ces cas de figure ne sont pas homologués.
Les plus perplexes, peut-être, s’en remettront à ce jeu en trois coups pour prendre une décision, avant de pénétrer dans l’isoloir. Des précédents existent : en 2005, un riche entrepreneur japonais détenteur de toiles de maîtres (Picasso, Van Gogh, Cézanne) dont il souhaitait se séparer, et ne sachant pas vers quelle maison de vente se tourner, de Sotheby’s ou de Christie’s, leur demanda de se départager par un Pierre-feuille-ciseaux. Christie’s a dit ciseaux, battant Sotheby’s qui préféra papier. 


vendredi 4 mai 2012

Un peu d'autosatisfaction : l'une des quatre versions du Cri d'Edvard Munch, la seule appartenant encore à un particulier, un pastel sur carton datant de 1895, a donc été vendue chez Sotheby's à New York hier, pour un prix de près de 120 millions de dollars, battant le record de l'œuvre d'art la plus chère placée aux enchères. 
On est bien content !, s'écrie-t-on ici. L'avenir est au cri !

(variante dégotée sur le net) 

jeudi 3 mai 2012



On doit au décorateur du plateau de «Le Débat 2012 », Olivier Illouz, d’autres scènes d’émissions télé : La France a un incroyable talent, À la recherche du nouveau Claude François et de ses Clodettes, Leurs secrets du bonheur, L’objet du scandale… Philippe Désert était le décorateur du plateau en 2007 (à son crédit, les sets de Ça balance à Paris, Nouvelle Star, On n’est pas couché…). Nostalgie particulière pour ce mercredi d'il y a cinq ans. À l’époque, le rendez-vous était moins frontal, moins conflictuel qu’aujourd’hui, inspirant une diversion, un écart. Avait peut-être eu lieu le débat d’ébats passés ? Extrait d’une fiction dialoguée maison :
Une femme, journaliste :
— Première question, simple : quelle femme et quel homme étiez-vous l’un pour l’autre ? Vous appartenez tous les deux à la même génération. Il y a eu cinq ans de vie commune, qui ont conduit à la fin de votre relation. Quel style voulez-vous donner à votre rupture ? Quelle est votre marge de manœuvre dans un monde moderne et quelle sortie de crise pouvez-vous envisager ?

Lui (en bleu) :

— Pour une première question, c’est tout un panel de questions. D’abord, l’affaire de la génération, je crois qu’il faut rester calme là-dessus. Nous sommes des quinquagénaires, dans la société d’aujourd’hui, on n’est plus tout jeunes. Je ne pense pas que l’âge change quelque chose à l’affaire. Il est important de tirer les conséquences du véritable tsunami relationnel de nos dernières années ensemble en France : 2002, la peine qu’on s’inflige une seconde fois, 2005, le non que tu m’opposes. On ne pouvait plus penser notre vie à deux comme avant. Moi, j’essaierai, si tu me fais confiance, d’être à la hauteur de l’histoire qui fût la nôtre. Il ne s’agit plus de dire, de proclamer de belles phrases virtuelles, mais qui restent sans résultat, il faut se promettre de s’aider réellement dans ce moment particulier. Je voudrais être un homme qui prend ses responsabilités. Je ne m’abriterai pas derrière des tabous, des excuses ou des paravents. Je vais m’engager sur un certain nombre de sujets. Je prendrai un certain nombre d’engagements, je tiendrai parole et je demanderai que tu me juges là-dessus. Je voudrais que nous puissions nous parler plus fréquemment, nous expliquer toutes ces choses, toi et moi. Je t’écrirai une lettre, pour rendre compte de ce que j’ai fait ou pas pu faire et pourquoi. Je voudrais aussi garder le souvenir d’un amour irréprochable. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire, un amour qui a été le fait de notre volonté la plus chère et non pas du mensonge, du compromis. Je vais proposer un changement très important au sein de notre couple, un changement qui ne s’est jamais produit dans l’histoire de notre relation, que toutes les grandes phrases que j’ai pu dire, toutes les insinuations qui t’ont peut-être blessée, soient désormais évacuées, reléguées dans l’état d’ignorance du passé, avec ton accord, expressément. Mes sentiments doivent être hors de tout soupçon, seule leur intensité doit compter. Enfin, je voudrais être l’homme qui ne désespère pas des désaveux successifs. On ne peut pas être meurtri et malheureux plus de deux fois de suite. Pourquoi ? Parce que l’énergie que l’on met à aimer on ne l’a met pas à haïr. Moi, la passion de ma vie porte un nom, féminin. Je veux aimer. Que ceux qui nous écoutent, qu’ils se rangent de ton côté ou du mien, retiennent que nous sommes là pour aimer, pour agir, pour changer, pour aller au-delà des dissensions. C’est ma vision de l’amour moderne.

Un homme, journaliste :
— Madame, quelle est votre conception de l’amour et du couple ?
Elle (en rose) :
— Je souhaite me sortir de la situation dans laquelle je me trouve aujourd’hui. D’abord, la dette amoureuse. Je suis diminuée, j’ai versé plus de 20 000 larmes, utilisé deux millions et demi de mouchoirs, ma fragilité s’est accrue, mon pouvoir de séduction a baissé, la déprime, j’étais 2 millions de mètres sous terre, à 2,5 millions, j’ai touché le fond, malgré le soutien de mes amis. J’étais une femme qui a perdu tout espoir. Le niveau de ma désillusion, quand j’ai compris au bout de 850 fois que je ne te reviendrais pas, que c’était fini après m’être posé 622 questions, et j’ai très durement subi cette épreuve. Un déficit de confiance en moi tel que tu es à 11 milliards de lieues de te l’imaginer, un gouffre profond de 3 millions de mètres, des angoisses qui n’ont fait que progresser jusqu’en 2002 de plus de 30%, une violence psychologique gratuite que je me suis infligée contre toute attente. En 2002, mon moral était à zéro, je m’inquiétais beaucoup de la suite de notre relation, de la fin de notre histoire. C’est me faire violence que de te l’avouer. Aujourd’hui, je veux être celle qui gagne la bataille contre le désamour, contre la haine que j’ai développée à ton égard, celle que j’ai nourrie comme un animal domestique, mon insécurité au quotidien et je dois pour cela trouver de nouvelles règles du jeu, un nouveau système moral, être une femme différente de celle que j’ai été pendant ces cinq éprouvantes années et je ne dramatise pas notre histoire. Mais il est vrai aussi que, comme tu l’as dit, l’amour moderne, puisque tu viens d’évoquer ce mot, demande que nous rendions des comptes sur ce que nous avons vécu. Car ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est le futur, mon futur. Malgré tout, toi, estimes-tu que tu as une part de responsabilité dans la situation dans laquelle je me trouve aujourd’hui ?

mercredi 2 mai 2012



En quittant Paris pour quelques jours, je tombe sur cette phrase, occupant une feuille A4 scotchée sur la vitre du wagon de métro, direction la gare Montparnasse. Je partais, je n’avais pas le temps de me rendre au service d’accueil de la division Propreté de Paris du 15e arrondissement pour signaler cet affichage sauvage sur mobilier urbain.
De retour, je salue l’Insalubre dont le moindre événement crasseux au sol m’émeut. J’aime un Paris douteux, celui de Taxi Girl, lorsque Daniel Darc y martèle de sa diction caractéristique :

"C'est Paris.
À Paris, rien n'est pareil.
Tout a tellement changé,
Que ce n'est même plus une ville,
C'est juste une grande poubelle.
Et la poubelle est pleine depuis si longtemps,
Qu'il n'y a plus de place pour nos déchets à nous."



Merci à Joe T. grâce à qui j’ai découvert ce morceau