lundi 31 décembre 2012

Sceptique à l’idée de finir l’année sur une note un peu sombre, pour ne pas porter ombrage à l’an qui se profile, voilà que c’est plus fort que moi. Ce que je viens de subir hier m’y oblige : passer 1h22 à souffrir devant 4h44, le dernier film d’Abel Ferrara, doit être une expérience partagée, ne serait-ce que par principe de prévention et de précaution. L’histoire : celle d’un couple dans un appartement face à la fin du monde programmée. Tout est ouvert à partir de ce schéma minimal. Le moment du grand chaos vécu à deux en un lieu clos : une différence d’échelle sur laquelle j’accepte de monter. Casse gueule. Avalanche de clichés, jeu bouffi, dialogues anémiés, grands moments d’embarras. Vite, la fin du monde, la fin du film ! 
L’homme est mûr, jaggerien, désirant la femme jeune qui arrondit la bouche quand elle peint à même le sol, chaussée de mules pieds sensibles constellées de tâches de peinture et portant un top créateur (plus tard un pyjama de soie immaculé, une robe longue, moulante, puis rebrodée de paillettes… la costumière a bossé). Pour sublimer son inspiration, elle s'est entourée d’un petit autel bouddhiste et d'un écran tactile entre les pinceaux et les pots qui diffuse le discours d’un guide spirituel... Lui se rase (parce qu’elle aime quand il a la peau douce, même si ça sent le sapin), en même temps qu’il téléphone (on ne comprendra jamais bien le but de l’appel). Elle lâchera ensuite volontiers le pinceau, et les voilà qui font l’amour à terre, abîmant l’art tout chaud qu’elle venait de créer (confondant). Cette première scène me colle la peur au ventre. J’attends, comme eux, le pire.
L’homme s’appelle Cisco, comme le « leader mondial des réseaux transformant ainsi la façon dont nous nous connectons, communiquons et collaborons »*. Et la femme se nomme Skye, presque comme Skype, mais en plus joli, en plus septième ciel que ce « logiciel propriétaire qui permet aux utilisateurs de passer des appels téléphoniques via Internet »**. Cela devrait suffire pour nous faire comprendre que nous vivons dans un monde ultra connecté. Mais non. Le loft est un vrai magasin d’électro-tv-informatique.
Sur un écran plat, le flux du monde, bientôt tari. Le réchauffement de la planète, le Dalai Lama, les experts analystes, tous les poncifs y passent, rien ne nous est épargné. Sur les écrans d’ordinateur, les connexions s’enchaînent, pour des adieux virtuellement assourdissants de rien, aux amis, aux parents, à l’enfant d’un autre lit. Entre deux communications, Cisco écrit sur son grand cahier que le monde est bientôt fini. Waouh.
Deux scènes me terrifient :
1) La femme et l’homme méditent face à face, dans la position du lotus. Cisco a des visions (Skye, on ne sait pas, en tout cas, on ne les partage pas, ou alors c’est un flot commun, ou alors elle transcende tout par "l'art", comme on le verra) : défilent l’île de Pâques, la guerre, les exactions, les processions, les rassemblements religieux, les violences urbaines… Pitié, pas ce pot-pourri cent fois revu de la déliquescence du monde ! Puis Cisco se voit scier le tronc d’un arbre, alors qu’un rappeur (ou un mec de gang ou une star du hip hop?) le regarde faire (?!!). Il sort alors de sa gangue contemplative, la main sur le cœur (oui, oui, comme poignardé par son propre méfait de bûcheron destructeur), se lève, chancelant, pour aller pester seul sur sa terrasse contre ces salauds de pollueurs et de puissants.
2) L’intrusion du réel se fait par la venue d’un livreur chinois de bouffe chinoise, qui n’a pas vingt ans. Le jeune homme sort du monte-charge qui mène directement dans le loft. Il a l’air bien mal à l’aise face à cette vision du couple "idéal". Comme moi. Il bredouille à peine son prénom sur la demande de Cisco, on comprend qu’il ne parle pas anglais. On croît s’étrangler. New York, XXIe siècle, cité cosmopolite. Cisco s’apitoie, lui demande s’il a besoin de quelque chose, faim peut-être (mais le pauvre doit en avoir marre de manger des nouilles, c’est vrai, ajoute-t-il…), et le garçon dit péniblement qu’il voudrait bien utiliser Skype. Encore une fois, scène de connexion. Le livreur contacte sa famille à l’autre bout du monde, et lorsqu’il parle, on ne prend pas la peine de traduire, c’est du chinois, qu’est-ce que ça peut bien faire. Quand l'ado s’apprête à partir pour continuer sa tournée (après avoir embrassé le capot de l’ordinateur en guise d’ultime au revoir...), Skye l’enlace en lui disant qu’elle est tellement heureuse de le connaître…
Ce n’est qu’un échantillon de cette longue épreuve visuelle. Faire le choix d’une journée ordinaire (reste à savoir pour qui) pour contrer l’extraordinaire ne me déplaisait pas, mais ce ballet entre la poupée qui peint et l’ancien junkie sexy est une vraie agonie. La démonstration, pour le coup, est réussie.
À l’issue de cette séance douloureuse et parcourant la presse pour essayer de trouver un peu d’écho critique, je ne lis qu’éloges : film superbe, serein, contrepied zen à l’apocalypse forcément spectaculaire, belle démonstration d’un monde qui n’a plus besoin d’être éprouvé puisqu'il s’invite à la table de l’intimité par le biais des écrans, extraordinaire Willem Dafoe, émouvante Shanyn Leigh,  audacieux Ferrara renouant avec l’énergie singulière de son art…
Je suis contrariée, et si jusque-là, je me disais que j’allais conclure cette année avec un soupçon d’élégance, une pensée raffinée, un bon mot si j’y parvenais, je n’ai plus cet entrain. Il va pourtant bien falloir que je trouve un moyen de tendre une main aimable à ce truc en 13.


* et ** : les 2 mentions entre guillemets ne sont pas issues du film, il s'agit juste des définitions techniques de ce dont on parle.  

samedi 29 décembre 2012


C'est un gros morceau. Ce n'est pas la petite ritournelle qui mène d'un mois à un autre, mais un chant qu'on aime ou pas entonner : celui du passage à la nouvelle année. Pour lui, il existe un objet transitionnel. Le gui. Parlons-en. Une plante parasite qui se fixe au tronc de son hôte par un suçoir pour en prélever l'eau et les minéraux, œuvrant ensuite tranquillement à sa synthèse chlorophyllienne pour s'épanouir à volonté. Belle leçon d'humanité. Le gui, dont les baies blanches sont toxiques pour l'homme. Le gui, dont l'arrogante boule verte se repère dans un arbre effeuillé, aussi visible qu'une tumeur. Le gui, qui ne touche jamais terre. Le gui, ses parfums de péage, son prégnant sillage d'autoroute. Car dans le paysage qui défile au loin, soudain, entre deux champs, le long d'une petite départementale qui longe la modernité, apparaît cette chose dense, compacte, dans la trame des branches. Des trous dans l'air. Le ciel alors criblé d'impacts de balle. C'est ça le gui. Non, je ne veux pas qu'on m'embrasse là-dessous. 

vendredi 28 décembre 2012

Choses vues entre solstice d'hiver et Nativité : 

Les yeux du crocodile.
Les yeux de l'homme.
Les yeux du bouillon. 

lundi 24 décembre 2012

Noël dans la famille Denby, Washington D.C., 1922, 
National Photo Company
(source : Shorpy Historical Photo Archive)

dimanche 23 décembre 2012


Maintenant que cela est derrière nous et que tout est rentré dans l'ordre, je peux bien avouer un léger pincement, un menu regret, qui me suit partout comme un petit chien malodorant. Savoir que j'aurais pu partir sans avoir jamais dégusté une banane double, condamnée par l'intransigeant calibrage dictant l'allure de nos étals de fruits et légumes, m'est aujourd'hui intolérable.
Puisque le ciel est clément et la terre toujours nourricière, j'irai donc un jour prochain en Martinique et Guadeloupe pour débusquer moi-même ce spécimen rare et roboratif. Afin que cette banane bannie ne soit plus mon spectre bancal. 

vendredi 21 décembre 2012

mercredi 19 décembre 2012

Ici, on s'écrie, même si ça ne s'entend pas. 
Mais on ne hurle pas avec les loups. 
Cette brève datée du 18 décembre, publiée sur le site de Libération, dans Next/ rubrique Arts, intitulée "Peinture hurlante" (par F-L.D.) nous avait pourtant mis le cri à la bouche. On était tenté. 
Voilà son contenu : 



Dans l'article, la mention soulignée expliqué le peintre, qui doit renvoyer à une source ne mène qu'à une page d'erreur et la vidéo, lorsqu'on clique dessus, n'est déjà plus accessible le jour suivant, pour raisons de droits d'auteur...
Ce "tartinage" sonore paraissait tellement gros qu'on s'est décidé à faire le travail journalistique qui visiblement n'avait pas été fait : chercher qui est cet artiste, quel est son projet.
Kim Beom n'est pas peintre et ce n'est pas lui qui apparaît à l'écran (mais un acteur). Son but n'est pas non plus de créer guidé par une palette de cris et cette vidéo, Screaming Yellow Paint — l'œuvre elle-même et non une captation d'un pseudo peintre qui peint —, ne laisse pas présager une tendance picturale bruyante...
Kim Beom a 48 ans, une pratique conceptuelle qu'il aborde volontiers par l'absurde. Le regard de côté, le sens dessus dessous. Ses installations, ses vidéos, ses dessins ou ses livres font l'objet d'expositions internationales ; la plus récente s'étant tenue cet été à Londres à la Hayward Gallery. Ici n'est pas le lieu du développement critique, mais celui de partager le bonheur d'avoir découvert le travail d'un artiste, et la tristesse de voir qu'on en parle comme d'un gag internet. Car ce sujet traité par Libé est bien peu délicatement classé dans "Brut de Net - Les documents filmés ou sonores du web : documents d'actu ou images amateurs".
Résultat : 
Pour avoir mis la main sur un cri de contrefaçon, on s'offre un cri de consolation.
On n'a pas eu le cri qu'on voulait, mais un autre bien plus authentique, poussé contre les mauvaises manières du web, trop dépendant des raccourcis.