lundi 22 octobre 2012

Le libraire. Il s'est passé quelque chose avec lui. Il a peut-être fini par détester l'objet livre auquel il a consacré sa vie. Il n'en peut plus de devoir se rendre jour après jour dans ce quartier de Saint-Germain-des-Prés où suinte une immense fatuité. Il préférait mille fois ce pigeonnier un peu à l'étroit, ce bateau ivre, cette maison livre troquée contre une ancienne boutique Dior, dans laquelle l'institution littéraire pour laquelle il travaille a désormais déménagé. Parfois, dans la réserve, lorsqu'il est seul, il se saisit d'un marqueur et d'un sac plastique, ajoute un t à hune, mais son écriture est toujours un peu tremblante, la thune n'est pas crédible, et il n'ose pas glisser l'intrus dans la pile de sacs de l'enseigne. Oui, la littérature est un produit de luxe, voilà ce qu'il en pense, elle est de mèche avec l'argent, et ce n'est pas pour rien que, passée la porte d'entrée, trône la caisse enregistreuse. Il ne se l'avoue pas, mais il a honte d'accueillir les clients derrière ce comptoir comme une dame pipi qui demanderait d'abord de payer. Parfois, dans la réserve, il aimerait foutre le feu, mais il ne le fait pas. À force d'être cerné ainsi par la fiction, il a perdu le sens de la déraison. Alors, il reste là, et se venge sur les auteurs, les obligeant à des rapprochements douteux. Il aimait Beckett pourtant. Justement, il l'aimait tellement. 
Il a craqué. Il recommencera.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire