Sur le conseil indirect de Sasha (dont le prénom
figure dans la liste de modèles précédemment publiée), je regarde un
documentaire consacré à la typographie Helvetica. Sasha Grey, puisque c’est
elle, n’est pas tout à fait cette célèbre inconnue bookée en agence de
mannequins ou une beauté vraie croisée dans la rue. Steven Soderbergh en a même
fait l’héroïne de Girlfriend Experience
(2009). Elle y tient le rôle phare d’une escort girl qui cherche à faire
grimper sa côte de popularité sur le net, à multiplier les occurrences de son
nom et de son service pour apparaître placée au mieux dans les moteurs de
recherche et ainsi tenir le marché (du moins, c’est de cette approche
désincarnée dont je me souviens). Sasha Grey est une actrice, qui débuta par le
porno, mais n’envisage pas de s’y laisser enfermer. Elle veut diversifier ses
activités et champs d’action, elle est dj, a le projet de produire, fascine par
sa plastique, ses pratiques, sa rhétorique… Donc, elle s’enthousiasme dans un entretien donné à un magazine français pour Helvetica, qu’elle
vient de visionner. Cela m’intrigue. Le documentaire donne la parole à une
profession peu bavarde à l’ordinaire, dans un canevas assez classique. Experts,
admirateurs et détracteurs de cette typographie suisse née en 1957 se
succèdent. Les interviews alternent avec des plans de ville, enfonçant le clou
suivant : la cité est truffée d’Helvetica. Rassurante, équilibrée, neutre, elle
a cette qualité sédative, apaisante. Transports publics, plans, signalétique muséale
ou administrative, indications diverses…. L’Helvetica est partout en ville. Et
entre Helvetica et Sasha Grey, des ponts se créent. Fantasme de la visibilité
en tête. Un détail les rapproche encore : le logo de l’enseigne
californienne American Apparel, pour laquelle elle posa, est lui aussi en Helvetica,
comme toute sa communication. La vieille carne typographique est plus que
jamais en forme, juvénile presque. Devenue petite bombe sexy. Un plan du film
s’attarde même sur une affiche de pub de la marque sur laquelle une jeune femme
allongée tourne son visage vers l’objectif, mais une grande bulle de chewing-gum
empêche de la voir complètement. Serait-ce Sasha ? Non, en fait, il s’agit
de Vanessa. Ouf, Sasha, on pensait que le film aurait pu t’être recommandé
parce que tu y figurais, mais ta curiosité semble plus maligne que ça, et tu
citeras dans la foulée, la poésie de Nietzsche, The Peacock and the Buffalo, comme livre de chevet. Helvetica remplit sa mission
documentaire : au-delà de l’esthétique, c’est le socio-politique qu’on
interroge. Helvetica était-elle pour la guerre du Vietnam, est-elle
capitaliste, faite sur-mesure pour satisfaire le marché, standardise-t-elle les
esprits, éradique-t-elle les particularités ? Ou à l’inverse sa plastique si
souple, si bien troussée permet-elle toutes les audaces créatives,
encourage-t-elle la transgression ? Helvetica et Sasha Grey pourraient bien se
ressembler alors, comme deux cousines éloignées.
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